Pourquoi ce n’est pas un suicide

Claudio Barbier, en chutant de 40 m alors qu’il préparait une voie nouvelle sur une paroi du Paradou, se serait-il suicidé ?

En examinant cette hypothèse, nous nous garderons bien d’émettre des suppositions sur la motivation qui aurait pu être à la base de cet éventuel suicide. Et nous éviterons tout autant de commenter les suppositions qui ont été publiées à ce sujet.
N’a-t-on pas pu lire, par exemple, comme motivation d’un hypothétique  suicide : « Claudio se sentait devenu vieux et dépassé par la jeune génération. » ?
N’a-t-on pas pu lire aussi : « Il aurait pu être effrayé par la tournure sérieuse et, peut-être pour lui trop contraignante, que prenait notre relation. Avait-il voulu  reculer devant le trop grand tournant dans sa vie, trop de responsabilité et toujours les problèmes d’argent ?… » ?
Et aussi : « pour lui vivre n’avait plus d’importance : il avait « porté son œuvre à terme ». Il était donc mort par désintérêt. » ?
Et encore : « Coïncidence troublante, il est mort à 39 ans comme Comici. » ?
Ne mentionnons même pas d’autres théories, parues bien plus tard (en fait, à partir de 2010), dénuées de tout fondement sérieux, purement spéculatives.

Laissons aux spécialistes l’étude du  comportement suicidaire, et évitons de nous engager sur des pistes qui échappent à nos compétences.
Restons sur le plan factuel.

Claudio Barbier se serait donc suicidé le 27 mai 1977. Soit ! Retenons l’hypothèse.

Commençons par une question : pourquoi aurait-il eu recours à un tel scénario ?

Hypothétiquement suicidaire, Claudio Barbier voulait-il camoufler son acte en « accident » ? Dans ce cas, habitué aux escalades en solo, il lui aurait été si simple de se laisser chuter !

On peut cependant envisager l’hypothèse suivante : une chute, dans une escalade en solo, aurait pu être attribuée à une faute technique du grimpeur. Et l’on peut penser que « le Maestro Claudio », même suicidaire, ne tenait pas à ce que sa réputation – sa légende même – soit ainsi ternie.
Il aurait donc imaginé, pour mettre fin à ses jours, un nettoiement de rocher et une chute provoquée par un facteur extérieur, à savoir la rupture d’un élément de l’ancrage.

Quel élément ?
Un ancrage est normalement constitué :
– d’un point sûr auquel on le fixe (le point d’ancrage),
– d’une (ou plusieurs) sangle(s) ou cordelette(s),
– de mousquetons.

Quel point d’ancrage – qui se romprait – Claudio Barbier (hypothétiquement suicidaire) aurait-il pu choisir ?
Une maigre racine, située à plus de trois mètres du bord de la falaise ?
Si Claudio Barbier tenait tant à sa réputation, il est hors de question qu’il ait eu recours à un point d’ancrage aussi manifestement douteux, et qui par son éloignement empêchait d’utiliser plusieurs mètres de son échelle. Imaginez-vous un Maître de l’escalade, réputé pour sa maniaquerie en matière d’assurage, laisser comme ultime signature un ancrage aussi visiblement aberrant ? En sachant que son prestige serait ainsi entaché à jamais ?

La balustrade placée au-dessus de la falaise pouvait-elle constituer un point d’ancrage apparemment solide, mais susceptible de se rompre ? Non. La balustrade est d’ailleurs toujours là, en 2019, solidement fixée dans le sol.

Il en est de même du tronc d’un arbre – un orme – proche du bord de la falaise, toujours solide aujourd’hui.

Le point d’ancrage étant hors de cause, Claudio Barbier aurait-il pu disposer ses mousquetons de manière à provoquer une ouverture « accidentelle » ?
Au cours d’une escalade, il peut arriver qu’un mousqueton mal placé s’ouvre inopinément en cas de chute du grimpeur, voire même lors d’une manœuvre de corde. Mais dans le cas présent, alors que la situation est statique (Claudio Barbier se trouve en paroi, sur son échelle), une ouverture fortuite d’un mousqueton est totalement exclue.
Accrochés à l’échelle de spéléo, les deux mousquetons ont d’ailleurs été retrouvés « unis et fermés comme s’ils avaient été attachés à un ancrage ».

Reste le troisième élément de l’ancrage : la (ou les) sangle(s).
Claudio Barbier, en préparant ce genre d’installation, utilisait habituellement  deux sangles : une pour l’ancrage proprement dit, et une seconde, par sécurité, pour doubler l’ancrage.
Imaginons donc que, hypothétiquement suicidaire, Claudio Barbier ne va utiliser ici qu’une seule sangle.
Et, cette sangle, il va l’aménager : il la ferme par un nœud qui, progressivement, lentement, va se défaire sous la charge de son poids…  Pour un expert comme Barbier, réaliser un tel nœud ne présente aucune difficulté.
La chute a donc lieu lorsque le nœud s’ouvre.
Pourra-t-on accuser Barbier d’avoir commis une faute technique ? Pas vraiment. Une négligence ? À peine ! Habituellement en effet la plupart des grimpeurs utilisent leurs sangles sans vérifier préalablement la qualité des nœuds qui les ferment. Il s’agira donc, en l’occurrence,  d’un accident relativement banal.

Reste une objection majeure.
Si tel avait été le scénario du « suicide » de Claudio Barbier, on aurait dû nécessairement retrouver la sangle ouverte : soit au point d’ancrage, soit au bas de la paroi.
Mais on n’a pas retrouvé la (ou les) sangle(s) de l’ancrage. Or, nous ont dit plusieurs « anciens » accourus sur le lieu du drame,  ce n’est pas faute d’avoir cherché !
Et ce n’est pas Claudio Barbier, prétendument « suicidé », mort au pied de la paroi, qui aurait pu la (ou les) faire disparaître…
Ni les pompiers, qui se sont contentés d’emmener le corps, laissant sur place tout le matériel de Claudio…

Au bord de la falaise (octobre 2017)

4 Comments on “Pourquoi ce n’est pas un suicide”

    1. S’il ne s’agit ni d’une mort naturelle, ni d’un accident, ni d’un suicide, on ne peut conclure qu’à un homicide.
      En droit, on distingue principalement : le meurtre (homicide volontaire sans préméditation), l’assassinat (homicide volontaire avec préméditation), les violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, l’homicide involontaire.
      Le meurtre est qualifié de « passionnel » lorsque le mobile avancé par le meurtrier est la passion ou la jalousie amoureuse.

      Selon M. Wim Van de Voorde, professeur de médecines légales à Louvain, un meurtre sur deux n’est jamais découvert en Belgique. 150 meurtres passeraient inaperçus chaque année dans notre pays. (Le Vif.be, 6/03/2013).
      À noter aussi que, comme dans tout bon roman, le meurtrier n’est pas toujours celui qu’on pense. Parmi les affaires qui ont été médiatisées récemment, épinglons, à titre d’exemples :
      – l’assassinat du châtelain de Wingene (meurtre commandité par le beau-père de la victime qui voulait sanctionner le comportement de son beau-fils) ;
      – la mort d’Alexia Duval, la « joggeuse » tuée par son mari, lequel, dans une mise en scène indécente qui suscita aussitôt la compassion de tous, joua avec beaucoup de talent le rôle du mari éploré, terrassé par le chagrin, soutenu par les parents de la victime…

      1. Dans ce cas particulier, une enquête a-t-elle été sérieusement diligentée ou l’événement a-t-il été considéré comme un accident ?

        1. L’enquête a manifestement été bâclée. À l’heure actuelle, nos seuls renseignements à ce sujet sont ceux fournis par Anne Lauwaert elle-même. Voici ce qu’elle a publié en 1991 :
          « Plusieurs mois après la mort de Claudio, la BSR (Brigade Spéciale de Recherche) me convoqua en me priant de leur apporter tout le matériel que Claudio avait sur lui. Questions, contre-questions et pièges se croisaient au-dessus de ma tête comme les rafales d’une batterie antiaérienne et moi au milieu. […]
          Quand cela devint insupportable je m’écriai:
          -“ Mais il s’agit de l’homme que j’aimais je ne l’ai tout de même pas assassiné !…”
          -“ Madame, – me répondit l’agent – vous êtes le premier témoin, vous êtes le premier suspect…”
          Ce ne fut plus la beigne en pleine gueule mais le coup de massue sur le crâne…
          Nous allâmes sur le terrain pour la reconstitution des faits. J’étais hors de moi, au comble de l’indignation et, surentraînée, je partis dans les rochers avec les policiers qui me suivaient.
          J’expliquai comment s’était déroulée cette nuit, puis je proposai de les emmener dans la descente le long de la paroi comme j’avais fait mais ils en avaient assez et je n’entendis plus parler de l’enquête. »
          Elle précise en 2011 :
          « Je n’eus plus de leurs nouvelles et quelques semaines plus tard on me restitua le sac de matériel. »

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