CLUB ALPIN BELGE
26, rue de Comines
BRUXELLES 4
Bruxelles, le 4 novembre 1968
Cher Collègue,
DEPITONNAGES SAUVAGES A FREYR
Dans la semaine du 1er au 7 septembre, des grimpeurs inconnus ont accompli plusieurs actes de malveillance en dépitonnant partiellement ou complètement des voies d’escalade de Freyr, à savoir la 2de longueur du Lézard, la Directissime, les Buses et les Cinq-Anes.
Nous tenons à vous informer avec objectivité de la position du Conseil d’Administration à l’égard de cette situation née de la volonté évidente chez quelques-uns d’imposer « leur loi » à la collectivité par des procédés anarchiques et de semer ainsi la zizanie au sein de notre club, situation qui contrarie au plus haut point un très grand nombre de nos membres.
MANSUETUDE SPORTIVE D’ABORD
De tels méfaits ont déjà été perpétrés à Freyr au cours des années précédentes. Le Conseil d’Administration les a toujours examinés avec la plus vigilante attention, mais, par souci de compréhension sportive, il a exercé la mansuétude vis-à-vis des coupables connus à qui il prodiguait des avertissements ou imposait une sanction légère.
PLAINTE EN JUSTICE
A notre plus vif regret, l’esprit sportif du Conseil d’Administration débouche sur un pénible échec et nous comprenons que, dans la journée du 8 septembre, trois administrateurs, MM. Fagot, Redouté et Van Ingh, estimant que le C.A.B. avait épuisé sa réserve de mansuétude, aient jugé opportun de déposer une plainte en bonne et due forme à la Gendarmerie de Dinant. En sa qualité de secrétaire général, M. Van Ingh a signé la plainte.
Si insolite qu’elle puisse paraître à certains, cette décision s’imposait sur le champ ; nos administrateurs s’y trouvaient acculés pour les raisons suivantes.
Les dépitonnages sauvages des premiers jours de septembre avaient provoqué au plateau de Freyr un mécontentement général, mécontentement d’autant plus vif que, cette fois, les dépitonneurs s’en prenaient à des voies comme les Buses et la 2e longueur du Lézard qui sont très fréquentées par des grimpeurs de force moyenne.
D’ autre part, une menace réelle de représailles en cascade planait sur le massif de Freyr. Il fallait agir tout de suite. Les moyens d’investigation du C.A.B. sont limités, la Justice en possède un vaste champ. Et le seul but de la plainte est d’arriver à connaître les coupables.
POURQUOI FALLAIT-IL NOMMER LES SUSPECTS ?
C’est à la demande des gendarmes que les plaignants ont nommé quatre suspects et ce n’est pas sans raisons qu’ils ont agi de la sorte. Dès le samedi 7 septembre, la rumeur publique citait trois noms. De plus, pour chacun d’eux, des motifs plausibles fondent les soupçons :
– notre secrétaire général a vu deux scies à métaux dans le coffre de l’un d’eux au refuge de Freyr ;
– un autre a tenu au siège du C.A.B., le mardi 3 septembre, des propos qui justifient la suspicion ;
– un troisième est soupçonné, pour avoir reconnu par écrit, en mai dernier, le 2d dépitonnage de la Directissime effectué au cours de l’été 67 ;
– un quatrième nom a été donné à un administrateur par un grimpeur expérimenté, habitué du plateau de Freyr.
LE CONSEIL D’ADMlNISTRATION APPROUVE LA PLAINTE
En sa réunion du mardi 15 octobre, le Conseil a examiné cette affaire. Par dix voix contre deux, le Conseil a décidé :
1. de soutenir ses membres qui ont formulé la plainte à la Gendarmerie de Dinant.
2. de maintenir cette plainte.
3. de tenter le retrait de celle-ci si les coupables se dénoncent.
4. de sanctionner de toute manière les coupables par l’exclusion du club.
Le Conseil regrette d’en arriver à des décisions aussi graves, mais il les prend en pleine conscience : c’est pour lui un devoir très impératif de poursuivre et de réprimer les actes de mauvais gré qui mettent en péril la sécurité des grimpeurs.
De quel droit des grimpeurs, – aussi virtuoses qu’ils soient devenus à force de répéter les mêmes escalades, – pourraient-ils « se réserver » par la violence des voies d’une école d’escalade, allant jusqu’à recourir à la subtilisation de pitons qui font partie du patrimoine du Club Alpin ?
Le Conseil d’Administration n’entend pas ignorer les aspirations des grimpeurs expérimentés. C’est d’ailleurs dans cette perspective qu’ il a décidé en leur faveur, le 25 juin dernier, une volumineuse assistance matérielle pour équiper à demeure des voies difficiles de Freyr et pour parfaire l’équipement d’autres massifs.
L’AUTORITE DU C.A.B. A FREYR DOIT ETRE SAUVEGARDEE
Depuis la dernière assemblée générale, nul n’ignore que l’Etat fondera prochainement à Anseremme un centre de nautisme et d’alpinisme. On sait aussi que les nouvelles exigences financières du propriétaire des rochers de Freyr amèneront le C.A.B. à laisser à l’Etat la charge de la location des rochers. En contrepartie, le C.A.B. assumera la gestion du site alpin de Freyr, notamment en matière d’équipement des rochers.
Gestion implique exercice de l’autorité. Si nous voulons que l’on nous garde confiance, il est de la plus haute importance que l’autorité du Club Alpin Belge soit respectée à Freyr. Sinon…
Et voilà ce problème pénible soumis à votre appréciation.
Nous ne doutons pas de votre compréhension et nous vous prions d’agréer, cher Collègue, l’expression de nos sentiments bien dévoués.
Le Conseil d’Administration
Convocation à l’assemblée générale, décembre 1968
Circulaire du CAB, 1er janvier 1969
Courrier du CAB-Brabant, janvier 1969