Les pitons jaunes (janvier 1965)

par Claudio Barbier,
article publié dans le Bulletin du C.A.B., janvier 1965

Les lecteurs qui liront attentivement cette nouvelle liste, revue et augmentée, des voies qui peuvent être gravies sans l’aide directe d’aucun piton, remarqueront plusieurs rectifications. Des voies indiquées auparavant comme nécessitant un ou plusieurs pitons de progression, sont classées comme entièrement libres. A quoi ces changements sont-ils dus ? Pour la bonne compréhension, il faut se reporter à la cause première, c’est-à-dire à la manière dont les voies sont ouvertes.

Le rocher en Belgique, et particulièrement à Freyr, est presque toujours très lisse. Placé devant un passage d’aspect très difficile, le grimpeur n’ose pas se lancer en libre, parce qu’il ne peut juger s’il pourra planter facilement un bon piton plus haut, ou s’il s’arrêtera devant un passage insurmontable ; et à cet endroit-là, bien souvent, pas moyen de pitonner ! C’est pourquoi la majorité des voies difficiles ont été ouvertes, pratiquement, en escalade artificielle. (Le meilleur exemple en est « le Pape », qui maintenant se fait sans aucun piton de traction). Par la suite, les voies étaient revues ; mais bien souvent les premiers ascensionnistes ne pratiquèrent pas l’épuration avec la rigueur souhaitable. Les voies surpitonnées devinrent classiques et gare à qui enlevait un piton !

C’est par hasard que je découvris que tel et tel piton, à première vue indispensable, en fait ne s’imposait pas.
Ou plutôt le piton, qui devrait se trouver très près du passage difficile, pour fournir la meilleure assurance possible, se trouve dans le passage, dont la difficulté est amoindrie ou supprimée, quand le grimpeur se tire au piton. Je répétai systématiquement la plupart des voies et constatai, à ma grande surprise, que les pitons réellement nécessaires formaient l’exception. Des passages qui habituellement se font en artificiel (sans étrier, mais en artificiel !) … comme le surplomb de la « Jeunesse », le départ du « Fakir », le départ des « Buses », etc., peuvent être franchis en escalade libre.

L’attention des grimpeurs étant attirée sur cette possibilité d’entraînement, quelle sera leur réaction ? Les uns continuent comme par le passé à se tirer, et souvent à se faire bloquer par le compagnon de cordée, à des pitons qui devraient servir uniquement à l’assurance. L’escalade en Belgique est un sport basé sur des conventions. Actuellement sont méprisés, entre autre : l’emploi d’étriers, du tisonnier, le lancer de corde, et d’autres astuces. Pourquoi le piton ferait-il exception ? Se tirer à une corde fixe ou à un piton d’assurance, le résultat est identique : la difficulté du passage est esquivée.

D’autres grimpeurs essaient, dans la mesure de leurs possibilités techniques et de leur condition physique, de grimper sans se tracter aux pitons d’assurance. Souvent le passage semble impossible et l’on saisit le piton sans même essayer.

Qui aurait imaginé autrefois réussir « l’Asiatique » sans piton ? Pour faciliter la pratique de l’escalade entièrement libre, nous avions pensé de peindre en jaune les pitons dont il est avéré qu’ils ne sont pas indispensables pour la progression. Mais il faudrait peindre presque tous les pitons, et les promoteurs ont eu le souffle court avant même de commencer !

Il est bien évident que seuls s’imposent ce raffinement ceux qui le veulent bien. Insistons simplement sur le fait que le jeu est sans danger aucun : on ne peut voler loin, puisque le plus souvent le grimpeur est assuré par un piton qui se trouve au-dessus de lui !

Les grimpeurs qui cherchent à vaincre de grandes difficultés découvriront des passages nouveaux. Le départ du « Pape » ou du « Culot », la traversée du « Zig-Zag », la sortie du « Tour de Cochon » prennent un caractère tout différent ! Tout le monde n’arrivera pas à ce stade ; mais chacun améliorera sa technique en essayant d’appliquer cette nouvelle convention, autant que sa force le lui permette.

Quant à ceux qui dénigreront, ou qui dédaigneraient ces efforts. Il y a la fable des raisins verts ; qui écrira la fable des pitons jaunes ?

Voies d’escalade libre, sans aucun piton de progression :
[suit une liste de voies à Freyr et dans d’autres massifs rocheux belges : voies sans aucun piton de progression, voies exigeant 1 piton de progression, 2 pitons, etc.]

Astuce (Guy Delaunay, « Du mou sur la rouge »)
Astuce du « tisonnier »

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