De Freyr à Bruxelles (Michel Fagot, mars 1969)

Michel Fagot
« Le Pic de Lierre », mars 1969
(Michel Fagot est administrateur démissionnaire et candidat à la nouvelle élection)

AU NOM DE L’ESPRIT SPORTIF. – Qu’un groupe de jeunes veuille, en se réclamant de l’esprit sportif, le durcissement des voies d’escalade de Freyr, c’est un fait patent, déjà tangible dans de nombreux itinéraires du massif. Ce groupe est soutenu et couvert par quelques adultes. Leur palmarès alpin ? Très ou peu flatteur. Leur nombre ? Jeunes et adultes, en tout vingt à trente personnes… une minorité.

C’est un fait indéniable également qu’un grand nombre de jeunes trouve aussi très sportif de négliger les pitons dont ils n’ont pas besoin pour progresser ; ils n’éprouvent pas pour autant un sentiment de frustration ou de jalousie infantile à l’égard de ceux qui passent « avec le clou ». Bon nombre d’alpinistes au palmarès avantageux partagent cette manière de voir… les clous.

ALPINISME DE MASSE… ROCHERS ENCOMBRES. – Sans doute, peut-on penser que l’encombrement des rochers à la belle saison incline certains à rendre plus sévères les itinéraires d’escalade pour décourager les moins « mordus ».

Y a-t-il une relation de cause à effet entre l’accroissement de l’effectif du C.A.B. et la cohue que nous connaissons à Freyr au printemps et en été ? Je ne le crois pas.
Si je me réfère à la « Revue d’Alpinisme » éditée en 1955 par le Club Alpin Belge, je lis à la page 75, sous la plume du secrétaire général :  » Le C.A.B. continue à se développer de lui-même et sa stabilisation se confirme : 910 membres contre 916 l’exercice précédent. … Si le nombre des membres reste stable, on n’arrive cependant toujours pas aux 1000 qui forment notre objectif.  »
Aujourd’hui, l’effectif du C.A.B. se chiffre autour de 1300, soit une augmentation de près de 400 membres en 13 ans. Trente membres de plus par an, ce n’est quand même pas bien marquant, surtout si l’on tient compte que, dans les dernières années, notre Club a vu venir à lui pas mal de skieurs qui ne fréquentent pas les rochers.

La comparaison entre le chiffre de 1955 et celui de 1968 démontre que, du moins en ce qui concerne notre Club, l’expression « alpinisme de masse » est plus un slogan dans le vent qu’une réalité évidente, ceci à une époque de grande vulgarisation sportive… Plus que les autres sports, la pratique de l’escalade subit la loi de l’élimination naturelle. Beaucoup d’appelés à l’alpinisme, oui ; mais le nombre des persévérants reste limité : les risques inhérents à la varappe, l’entraînement à l’effort soutenu et souvent violent, rebutent le grand nombre.

Comment expliquer dès lors l’envahissement des rochers ? C’est que ne manquent pas à Freyr les resquilleurs qui grimpent sans être membres du Club Alpin. Mais en outre, nous oblige la servitude inévitable des réciprocités consenties à des groupements alpins belges ou étrangers. Ces dernières années, la fréquentation étrangère a pris à Freyr une ampleur considérable.

Il s’avère nécessaire, indispensable d’assurer le contrôle de l’accès aux rochers. Pour garantir la stabilité et la régularité de cette opération, je ne vois pas de moyen plus sûr que l’engagement par le Club d’un garde assermenté qui vérifierait les cartes des membres au plateau de Freyr. L’ex-Conseil d’Administration a examiné et approuvé cette proposition.

On peut souhaiter aussi que le Club Alpin adresse à ses sections provinciales et aux associations belges ou étrangères bénéficiant de la réciprocité une invitation à organiser l’initiation pour l’escalade dans des massifs autres que celui de Freyr.
Depuis deux ans, la Section du Hainaut expérimente avec succès l’initiation à la varappe sur des rochers hennuyers. C’est seulement lorsqu’ils sont à même de passer en second les difficultés du 4e degré que nous amenons à Freyr les débutants qui persévèrent. La généralisation de cette formule contribuerait à coup sûr à désencombrer les rochers de Freyr : on ne verrait plus de longues voies d’escalade bloquées et bouchées durant de longs moments par des débutants qui ne passent pas.

FREYR NE PEUT PAS DEVENIR UN MASSIF RESERVE A UNE ELITE. – Il est vrai qu’à notre époque on court, on nage, on descend plus vite. Le perfectionnement des techniques permet aujourd’hui des performances impossibles voici vingt ans. Pourquoi pas également en matière d’escalade ? Dans cette perspective on peut comprendre les aspirations de certains jeunes grimpeurs. Mais la réalisation de leurs souhaits ne doit pas s’accomplir dans l’indiscipline et l’anarchie, comme c’est le cas présentement.

Guy Donnée avance deux solutions au problème du pitonnage. L’une et l’autre me paraissent recevables. La première – nomination d’un commissaire unique – présente le mérite de l’innovation : c’est la première fois que pareille proposition est faite. Si commissaire unique il y a, ce responsable  devra s’affirmer capable de dépassement personnel pour œuvrer selon les impératifs de sa vaste expérience alpine, sans subir l’influence d’une aile par trop progressiste. Grand courage et grande maturité d’esprit lui seront nécessaires.
La seconde solution préconisée par mon ami – commission à tendance unique – approche dans ses grandes lignes celle que j’ai proposée au début de l’hiver, lors de la réunion des grimpeurs assemblés à Bruxelles à l’initiative de François Van Ingh.
Quelle que soit la solution qui sera adoptée, elle devra garantir aux grimpeurs la possibilité de trouver à Freyr des voies d’escalade qui satisfassent leurs aptitudes. En conséquence, il me semble obligatoire de fixer une frontière, une limite au durcissement des voies d’escalade. Sans une ligne de démarcation entre le permis et l’interdit, Freyr se transformera très vite en un massif réservé à une élite, ce qui ne doit pas arriver: Freyr ne peut pas devenir un Saussois belge ; tous les grimpeurs belges ont les yeux braqués sur Freyr : c’est leur terrain de jeux.

Il est possible, assurément, de dresser un compromis entre les deux tendances qui s’affrontent. Je l’ai proposé aux grimpeurs réunis à Bruxelles ; il rejoignait les vues de Claude Barbier et de Raymond Coene. En deux mots, le voici : l’œuvre d’épuration ne pourrait toucher que les voies classées très difficiles et extrêmement difficiles. Le statu quo serait maintenu dans les voies de cotation inférieure.

VINGT ET UN CANDIDATS POUR QUINZE PLACES. – Les membres du C.A.B. recevront incessamment un pli du secrétariat général les invitant à élire par correspondance les futurs administrateurs de notre Club.
Il semble évident que ces élections porteront principalement sur la question du pitonnage a Freyr. Dès lors, il est opportun que chaque électeur connaisse l’opinion des candidats sur la question.
La liste alphabétique de ces candidats est donnée ci-après avec mention de leur appartenance provinciale. Un astérisque suit le nom des candidats fortement engagés dans l’option du durcissement des voies d’escalade. Les autres candidats représentent la tendance des « modérés ».

1. Luc Borgt (Anvers)
2. Jacques Borlée (Brabant)
3. Jean Bouciqué (Brabant)
4. Raymond Coene (Brabant) (*)
5. Edmond Costantini (Brabant) (*)
6. Max Decant (Brabant)
7. André Dehez(Hainaut)
8. Claude Delvenne (Liège) (*)
9. René De Meyer (Anvers)
10. Michel Fagot (Hainaut)
11. Georges Janty (Namur)
12. Gérard Loriaux (Hainaut)
13. Joseph Marien (Brabant) (*)
14. Cécile Mayeur (Brabant) (*)
15. Julien Peeters (Anvers)
16, Jacques Slegten (Namur)
17. Albert Smolderen (Anvers)
18. Victor Tilkin (Liège)
19. José Vandevoorde (Brabant)
20. Jan Verheest (Brabant) (*)
21. Joseph Vincent (Liège)

A BRUXELLES, LE SAMEDI 22 MARS
En même temps que l’enveloppe émanant du secrétariat général, les membres du C.A.B. recevront une convocation à l’assemblée générale qui se tiendra à Bruxelles, le samedi 22 mars à 16 h. Tous les problèmes concernant Freyr (pitonnage, collaboration avec l’Etat, caravaning) y seront débattus et des décisions extrêmement importantes pour l’avenir du Club seront votées.

Nul doute que très nombreux soient les membres du C.A.B. pleinement intéressés par la vie du Club Alpin. Cet intérêt ne suffit pas pour que s’accroisse sa prospérité. Dès lors, c’est à chacun d’eux qu’est lancée l’invitation pressante à participer à l’assemblée générale. C’est de la réponse positive de tous que dépend la solution de nos difficultés. Chacun appréciera s’il n’est point là pour lui un devoir impérieux.

Michel FAGOT

Michel Fagot

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