QUE S'EST-IL PASSÉ À MARCHE-LES-DAMES LE 17 FEVRIER 1934 ?
3. Anomalies encore...
- Le Roi grimpait ce jour-là non avec ses lunettes mais, paraît-il, avec un lorgnon (ou "pince-nez"). Difficile et risqué de varapper avec ça sur le nez ! L'avait-il enlevé pour faire son escalade ? La myopie du Roi n'était pas négligeable, et il est avéré, selon plusieurs sources, qu'il ne pouvait grimper sans verres correcteurs. Tous les témoignages connus attestent que, pour ses ascensions, Albert portait toujours des lunettes ; pour ne pas risquer de les perdre, il utilisait un modèle de lunettes métalliques dont les branches s'incurvaient derrière les oreilles en s'y enroulant.

- Selon la version officielle, le Roi serait d'abord tombé sur une petite plateforme située à 1,50 m ou 2 m sous ses pieds, plateforme où se trouvait un arbre ; ce sont des branches de cet arbre qui l'auraient déséquilibré et projeté dans le vide. Et le crâne se serait brisé sur le rocher…
Lorsque l'on se trouve sur la plateforme en question, on ne peut s'empêcher de se poser immédiatement la question : comment est-il possible de se tuer en tombant d'ici ?... En effet, vu la faible hauteur du rocher sur ce versant (moins de huit mètres entre la plateforme et la pente de terre), il semblerait normal que, dans la première phase de la chute, ce soient les pieds ou les jambes, voire le dos, qui aient percuté le premier obstacle rencontré. Mais pas la tête ! On n'imagine pas en effet que sur une hauteur aussi réduite, si l'on chute en position d'escalade, le corps même déséquilibré ait le temps de basculer complètement, tête en bas. D'autant plus qu'au moment d'un dévissage, un grimpeur expérimenté a normalement certains réflexes…

- Albert a été retrouvé avec, nouée à sa taille, une corde d'une vingtaine de mètres. Celle-ci était déroulée. A première vue, il y a là encore une anomalie : en effet, si l'on grimpe seul et que l'on se munit d'une corde pour s'autoriser une retraite ou se faciliter une descente, on ne laisse pas cette corde pendre au-dessous de soi à la montée car elle risquerait de se coincer ! En pareil cas, la corde est soigneusement enroulée en bandoulière, au-dessus du sac si l'on en porte un, et fixée par un nœud. (Elle peut également être lovée et fixée sur le dos, l'extrémité des brins servant de bretelles, pour autant que l'on ne porte pas de sac à dos.) Mais cette anomalie n'est qu'apparente. On peut en effet supposer que, dans le cas présent, arrivé sur la plateforme, le Roi, ayant l'intention d'utiliser sa corde pour redescendre du sommet, ait déroulé celle-ci avant d'attaquer les derniers mètres de l'escalade, vu leur verticalité.

- La ravine étant très pentue, le corps devait normalement se trouver plus bas que la corde qu'il avait entraînée dans sa chute. Or, selon le capitaine Jacques de Dixmude, l'officier d'ordonnance qui a découvert le corps, c'est tout le contraire. Racontant comment il avait d'abord trouvé la corde, il poursuit son récit en écrivant : "Je remonte le long de la corde et aperçois le corps du Roi…". Celui-ci aurait donc été stoppé par une saillie de la pente, mais la corde, elle, aurait continué à glisser sur les feuilles mortes, contournant le corps, évitant la végétation existante et les pointements rocheux… A noter cependant qu'un des témoins affirme le contraire : selon lui, la corde était étendue vers le haut. (Un autre a même affirmé n'avoir pas vu de corde…!) Manifestement, ces témoignages se contredisent. Qui croire ?

- La corde retrouvée attachée à la taille du Roi est très abîmée : trois des quatre torons sont rompus, le quatrième est entamé. Comment ces torons ont-ils pu se rompre ? En escalade, une corde ne peut s'abîmer de cette manière que dans deux circonstances. Dans la première éventualité, il faut que la corde subisse une forte tension (et donc qu'au moment de la chute elle soit tenue ou retenue par quelqu'un ou par quelque chose, ou qu'elle se coince, ou que sa position la freine très fortement) ; les dégâts ou rupture peuvent alors survenir si la partie sous tension frotte sur un angle vif qui la cisaille (une arête aiguë par exemple), ou si l'énergie du choc dépasse les capacités d'absorption de la corde. Dans le deuxième cas, il faut que la corde soit frappée par une masse dure (par exemple une masse rocheuse) qui, en tombant, écrase et cisaille la corde là où se produit l'impact.

Or la version officielle nous dit que le Roi escaladait en laissant sa corde pendre librement sous lui. La probabilité qu'un bloc détaché ait pu, dans de telles conditions, provoquer de tels dégâts à la corde paraît bien faible…

- La version officielle reproduit essentiellement la thèse exprimée dès le 18 février 1934 (le jour même de la découverte du corps) par le comte Xavier de Grunne, Secrétaire Général du Club Alpin Belge.
Selon cette thèse, Albert, pour atteindre le sommet de l'Aiguille, s'est "accroché à un large bloc descellé" qui a basculé, occasionnant la chute du Roi. Celui-ci aurait pu se retrouver sain et sauf sur la plateforme, deux mètres plus bas. Malheureusement, en tombant, le Roi a heurté une longue branche, qui a déséquilibré le Souverain et l'a précipité dans le vide, tête en bas. Cette explication, qui imagine une culbute complète du corps, ne précise pas comment la corde du Roi a pu s'abîmer d'une telle manière.

- Mais il y a plus : interrogé par le juge d'instruction à ce sujet, Xavier de Grunne affirme que ce genre d'incident (la rupture partielle d'une corde) est fréquent en escalade ! Pourquoi ce mensonge, alors que de Grunne, alpiniste expérimenté, sait très bien que ces dégâts à une corde ne se produisent que dans des circonstances très particulières (décrites ci-dessus), et qui ne cadrent pas avec la description présumée de l'accident ?

- Le lorgnon porté ce jour-là par le Roi était d'une qualité étonnante : perdu dans la chute, il a été retrouvé intact, plusieurs mètres au-dessous de la plateforme !


- Le Roi portait un marteau attaché à sa ceinture. La présence de ce marteau suppose normalement la présence complémentaire d'un ou de plusieurs pitons. Lorsqu'Albert a entrepris son escalade, on peut penser qu'il devait donc avoir au moins un piton attaché, par un mousqueton, soit à la ceinture, soit à une bretelle du sac. Quand on a retrouvé le corps, il n'y avait pas de piton accroché à la ceinture. Les bretelles du sac s'étant brisées, on a bien retrouvé un mousqueton dans la pente, mais pas de piton. Le Roi aurait-il donc enfoncé ce piton dans la roche avant sa chute ? Quand, où ? C'eût été facile à vérifier, mais personne parmi les enquêteurs ne semble s'être soucié de ce détail.
 
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